Quelques réflexions sur le volontariat

Une bonne partie de cette réflexion a été alimentée par des discussions autour de l’émission de Radio Sterni #13, où nous avions diffusé une interview d’une ONG travaillant à Madagascar.
Le volontariat, travailler gratuitement pour aider les autres. Voilà une idée qu’elle est bonne !
Depuis le début de ce voyage, la question du volontariat croise ma route de manière régulière. Et à chaque fois, le doute grandi, et ma réflexion muri.
Bref, depuis quelques jours, mon agenda pour mon séjour au Vietnam se précise. Je commencerai à la mi-février à enseigner -en volontariat- l’anglais dans une petite université publique proche de Ho Chi Minh Ville. Je ferai cela pendant 3 semaines afin d’aider les étudiant-es et les professeur-es à améliorer leur oral. Ce que je pensais être de l’enseignement de français ou d’allemand pour le début de mon séjour (histoire de me faire un petit réseau social) s’est donc transformé en une tâche d’enseignement de l’anglais au milieu de mon séjour, rendant par la même plus difficile l’organisation d’un volontariat différent pour la fin de mon séjour.

La question de l’enseignement de l’Anglais

Quand j’y réfléchi, je suis un peu mal à l’aise avec la situation. Déjà, il y a l’anglais. J’avais proposé d’enseigner le Français ou l’Allemand parce que je les maitrise mieux, mais aussi par réflexe anti-nord-américain primaire. Un anti-impérialisme de bas étages en quelque sorte. Je ne peux pas dire qu’enseigner le français dans une ancienne colonie française soit la tâche la plus noble que j’ai pu envisager, mais finalement, comme c’est ma langue maternelle, c’était peu être la plus simple. Enseigner l’Allemand aurait été rigolo. Mais bon, l’Allemagne a plutôt tendance à déporter les vietnamien-nes en ce moment, alors bon ça n’est peu être pas des plus utile, surtout que les échanges entre les 2 pays ont du ralentir depuis la chute de la RDA.
J’aurais pu enseigner l’informatique aussi. Finalement, c’est ce que je sais faire le mieux. Mais les quelques écoles qui recrutaient des volontaires sont sponsorisées par Microsoft/Cisco/IBM. En gros, il s’agit de s’assurer que les ingénieur-es informatiques du Vietnam assureront la prospérité du marché pour des compagnies nord-américaines une fois qu’ils/elles auront des postes à responsabilité. Pas très émancipateur comme forme d’aide.
Bref, il restait l’anglais. Certes, je le pratique tous les jours depuis 4 mois, et pour avoir parlé avec un prof d’anglais de l’université, et bien je dois dire que mon anglais est meilleur, et que je dois être capable d’aider des gens à communiquer dans cette langue. Mais je me demande quand même ce que cela implique.
Quand j’étais en Mongolie, j’ai découvert les “Peace Corps“. Les Peace Corps sont des travailleu-ses/rs “humanitaires” financé-es par un projet du gouvernement américain à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars par an. Ces “volontaires” sont envoyés dans les villages les plus reculés des 4 coins du monde pour … enseigner l’anglais. C’est bien me souffle-t-on. Ils/Elles aident des écolier-es défavorisé-es à accéder à une meilleure éducation.
Mais pourquoi faut-il parler anglais quand on habite un village reculé de Mongolie ? Pour voyager, pour accéder à toute  l’information, …car l’anglais est la langue universelle me souffle-t-on…
D’un côté je ne peux pas le nier. Mon voyage aurait été foncièrement différent et plus compliqué si je n’avais pas pu parler un mot d’anglais. Mais d’un autre, si j’avais parlé anglais en étant né dans un village mongole/vietnamien, la possibilité de prendre une année pour voyager sur mes économies jusqu’en Europe aurait été assez peu probable, voir inexistante. J’y reviendrai.
Au delà du côté pratique de cette “langue universelle” (sic), il ne faut pas oublier qu’une langue accompagne une culture. Autrefois, le français fut une langue “universelle”, ensuite ça a été le russe. À chaque régime sa langue et ses intérêts. Pour revenir à l’anglais, le parler, ça signifie pouvoir comprendre les films nord-américains, pouvoir écouter les tubes de pop qui font l’apologie du “libéralisme existentiel” [1], pouvoir regarder les infos de la Fox, et par la même pouvoir absorber un peu plus la propagande du rêve (nord-)américain. Et puis on nous explique aussi que cette langue est celle du commerce international. Pour devenir riche, il faut parler nord-américain. D’ailleurs les (nord-)américains sont tous riches, la preuve étant le cousin-du-cousin-de-l-oncle qui a une grosse voiture depuis qu’il habite là bas.
Finalement, je commence à croire que l’apprentissage de l’anglais dans les pays en développement sert essentiellement à deux choses  :

  • aider une élite à mieux intégrer les marchés internationaux, pour le bonheur des transnationales (“développer” le pays en construisant son économie sur l’exportation et le tourisme, soit deux activités qui construisent les dépendances vis à vis de l’extérieur)
  • donner au peuple et à son élite l’illusion que c’est en adoptant les règles du commerce international (et sa langue), qu’on atteindra le niveau de vie et le “niveau de développement” des pays du Nord. Comme ça, ça évite de se poser la question de l’exploitation du Nord sur le Sud, ou d’une classe sociale sur une autre. “Je parle anglais, le monde m’appartient, si je n’y arrive pas c’est que je suis mauvais”.

Apprendre une autre langue ouvre les perspectives, et permets sûrement d’aider à une forme de compréhension interculturelle. Alors oui, enseigner des langues c’est important. Mais ne serait-il pas plus intéressant d’enseigner des langues dans une optique de relocalisation de l’économie, en favorisant l’enseignement du Chinois, du Laosien, du Thailandais, du Cambodgien… ?

La question de l’Humanitaire

Lorsque les voyageu-ses/rs désirant faire du volontariat ne s’engagent pas sur la route de l’enseignement, il reste une flopée d’autres activités. Parmi elles, le très prisé volontariat humanitaire. Par humanitaire, on inclut beaucoup d’activités différentes. Certaines sont liées à l’urgence. On envoie des médecins après avoir bombardé un pays. Pourquoi pas. D’autres sont des activités à plus long terme. Le travail lié aux orphelins est un bon exemple.
J’ai eu l’occasion de visiter un orphelinat à Oulan-Baator avec quelques camarades de voyage français-es. Nous avons pris une matinée pour amener quelques cadeaux aux enfants, et passer du temps pour jouer avec eux, faire de la peinture, dessiner, les porter sur nos épaules… Dans cet orphelinat, des groupes d’étranger-es se relayaient pour faire du volontariat pendant 2 semaines. J’ai aimé cette expérience, et je ne remets pas en compte la bonne volonté ni l’utilité de ce type de bénévolat. Les enfants de cet orphelinat s’ennuient, et avoir de la visite, avoir des adultes qui s’occupent d’eux -même si ils ne parlent pas la même langue- leur fait du bien. Je ne sais pas dans quelle mesure l’instabilité de l’encadrement est nuisible pour l’équilibre des enfants, mais j’imagine que comparé à l’absence d’encadrement, c’est déjà une forme de mieux.
Mais pourquoi les enfants sont ils abandonnés au fait ? Ah oui, parce que les parents n’ont pas de quoi leur donner à bouffer. Et pourquoi les parents n’ont pas de quoi leur donner à bouffer ? Parce qu’ils vendent leur riz sur le marché international à des prix fixés par “le marché”, à la place de le mettre dans la bouche de leurs gamins. Je synthétise de manière lapidaire, mais vous voyez l’idée. On donne de son temps et de son énergie pour aider à rendre supportable une situation qui ne l’est pas.

La question des projets de “développement”

Un petit peu séparé du classique travail humanitaire, il y a les projets dit “de développement”. L’intention est parfois louable. Apporter son savoir faire pour aider les populations à acquérir les moyens de leur “développement”. Leur apprendre à gérer leur eau, leur forêts, à gérer leurs productions agricoles ou à les industrialiser. Si certains projets sont réellement intéressants, il en reste que bon nombre sont fait dans une optique relativement impérialiste/civilisatrice. Après avoir détruit les cultures ancestrales par la colonisation, et bien on va vous montrer comment vous réorganiser, mais à notre sauce. Parce que c’est sûr, si les bourgeois blancs ne venaient pas expliquer aux petits noirs comment faire, ils feraient n’importe quoi.
Alors c’est sûr qu’étant donné qu’on a inventé l’emballage plastique, et qu’ils/elles l’ont adopté, et bien maintenant qu’on a compris que c’est p(oll)uant, c’est plutôt sympa de les prévenir.

Pourquoi aider à 10.000 km de chez soi plutôt qu’en bas de sa porte ?

Finalement autour de ces différentes formes de volontariat, il reste la question du pourquoi.
Pourquoi des gens partent aider dans le “tiers-monde” quand la misère existe au pas de leur porte ? Pourquoi les voyageu-se/rs veulent-ils/elles absolument “aider” les pays qu’ils/elles traversent ?
Pour ma part, j’avais prévu le volontariat comme une forme de “dédommagement”. Plus que pour me donner bonne conscience, il s’agit de camoufler une inégalité énorme entre moi, voyageur du Nord, et e-lles/ux, habitant-es du Sud. Voyager sans travailler pendant longtemps, c’est de l’ordre de l’insolence, quand les locaux que tu rencontre bossent 50h par semaine juste pour vivre du minimum. Alors le volontariat, c’est aussi pour gagner un peu de reconnaissance au niveau de la valeur travail, pour ne pas passer trop pour un glandeur au milieu de ce-lles/ux qui triment. Certes, on ne comprendra pas toujours pourquoi tu travailles gratuitement, mais comme tu fais quelque chose de socialement incritiquable, et bien ça passera plus facilement. À côté de ça, il y avait ce sentiment de devoir faire “quelque chose d’utile” de ma vie, de mon voyage. Mettre tout cela au service de quelque chose, même si je ne sais toujours pas quoi, pour éviter aussi de passer pour un glandeur, aux yeux des gens du Nord cette fois.
D’une manière plus générale, j’imagine que ça reste un moyen assez intéressant de découvrir un pays différemment de celui du tourisme classique. C’est sûrement pour ça que des agences vendent des tours de volontariat. Payez 500€ et votre billet d’avion, et partez 1 mois pour travailler pour construire une école. C’est un peu le comble. Le tourisme classique devenu trop massif, une partie des touristes l’ont déserté, et ont provoqué de fait l’ouverture d’un marché-niche pour les récupérer…
Et puis il y a quand même la bonne conscience… “Moi, je m’en fout de la politique, j’aide les gens dans la pratique ! La preuve pendant mes dernières vacances, j’ai enseigné gratuitement l’anglais à des vietnamiens pour qu’ils aient un meilleur avenir”.
Allez, j’arrête de critiquer, moi, je fais ça pour moi. Parce que je crois pas que je changerai quoi que ce soit aux inégalités de classes en 3 semaines. Si je me trompes, tant mieux.
[1] : je me cultive en écoutant “de bruit et de fureur
PS : Ce texte est un peu brut de décoffrage, mais c’est juste histoire de mettre quelques pistes à plat.

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Une réponse à Quelques réflexions sur le volontariat

  1. laura dit :

    ahhh!ca serait trop interessant de parler avec toi quand tu reviens! Je te lies, et preque tout le temp, je sens que j’ai vecu le memme! Weiter so!

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